Sur le risque
Débutée au cours de l’après-guerre, l’histoire de l’exploitation industrielle de l’uranium en France s’est développée sur près de 50 ans et s’est achevée en France en 2001 à la fermeture de la dernière mine. Les quelques 200 sites miniers exploités sur cette période font l’objet depuis une quinzaine d’années, d’une surveillance encadrée par les services de l’Etat et déléguée à l’ancien exploitant.
Néanmoins, l’arrivée à expiration des titres miniers pour la plupart au cours des années 2020 interroge les modalités de gestion à long terme. Ce « temps incertain » (Brunet, La nature dans tous ses états, PULIM, 2OO4) renvoie d’abord à la question essentielle de la préservation de la mémoire des sites exploités, passées les difficultés techniques de leur réhabilitation.
 En effet, le réaménagement opéré à la fin de l’exploitation a généralement eu pour effet d’effacer progressivement les signes de l’extraction d’uranium sur le territoire et les successions générationnelles ont fait le reste.
La prise de conscience dans le débat public des conséquences environnementales est apparue tardivement à la suite de quelques affaires emblématiques (site COGEMA de Saint-Priest-la-Prugne,…). La circulaire Borloo du 22 juillet 2009 relative à la gestion des anciennes mines d’uranium qui y fait suite caractérise les risques associés aux anciens sites d’extraction et pose les conditions d’une nouvelle prise en compte publique du risque sous deux angles: le renforcement des modalités de surveillance et le développement de la vigilance au travers de l’information et de la participation du public. Cette « mise à l’agenda » tardive du problème des sites miniers interroge le processus de définition sociale du risque et de sa spatialisation, dès lors que les sites industriels potentiellement pollués sont devenus une préoccupation dès le milieu des années 1990, et l’ANDRA a mis en place une politique de préservation de la mémoire industrielle des sites d’enfouissement des déchets dès la fermeture du site de stockage de la Manche en 1994. Dans le nouveau contexte ouvert en 2009, les problématiques liées à la gestion des sites miniers, au suivi sanitaire des populations de travailleurs évoluent, alors même que les principes de la responsabilité juridique des exploitants se transforment. L’effacement du passé industriel ne conduit pas nécessairement à la disparition des contaminations ou à l’extinction des responsabilités, ce qui crée un espace de risques et d’incertitudes environnementales et juridiques. Ce rapport singulier à l’espace, au temps, à l’individu et à la norme réinvestit plus largement la question de la gestion de l’héritage, qu’il soit lié à l’extraction de l’uranium ou à la présence naturelle de radioactivité et ses modalités de gestion sur le long terme.
Le rapport entre la société, le territoire et la gestion environnementale des sites uranifères a suscité en sciences sociales un ensemble de travaux tantôt consacrés à l’histoire de l’uranium et à son inscription dans la filière du nucléaire, à son influence dans la structuration des territoires à l’émergence de la question environnementale dans la gestion des sites locaux, ou aux controverses associées aux faibles doses . Aux USA et au Canada, la question est intimement liée à celle des injustices environnementales (Lulus : Locally Undesirable Land Uses) auxquelles ont été exposées les populations amérindiennes des Rocheuses, de l’Ontario ou du Saskatchewan . Néanmoins, l’analyse croisée et systématique par site reste embryonnaire. Dans cette perspective, la caractérisation des effets socio-environnementaux associés aux rayonnements ionisants et à leurs représentations constitue une voie de recherche encore peu explorée qui requiert du point de vue méthodologique de croiser plusieurs éléments d’analyse : l’objet d’étude (caractère invisible, seuil), la nature du phénomène (activité naturelle ou d’origine anthropique) et son périmètre (écosystème).
Nous proposons par conséquent de développer quatre thématiques d’étude : la compréhension socio-historique de l’héritage minier, la géographie du risque, les faibles doses en milieu ouvert et le droit minier et de l’environnement. Ces thèmes combinent des compétences en sociologie, histoire, droit et géographie.
A terme, l’objectif porte également sur le développement d’une « science citoyenne », en capacité de répondre conjointement à des problématiques scientifiques, technologiques et sociétales. Il s’agit d’aborder les enjeux environnementaux à partir d’une démarche interdisciplinaire en lien avec les acteurs du monde industriel et associatif. La question environnementale dans ce cadre interroge la capacité de la science à pouvoir appréhender et gérer les impacts de cette exploitation sur le long terme mais elle convoque également le rôle de la société civile pour conserver les traces vivantes de cette activité (d’origine naturelle et anthropique) sur le mode de la vigilance. Certains outils juridiques ont été développés à cette fin, dans d’autres contextes, sans que leur transposabilité ait été envisagée. La question de la responsabilité actuelle pour faits passés pourra se poser aussi aux générations futures. A long terme, la gestion durable de ces territoires requiert de conduire une démarche concertée entre les pouvoirs publics, les associations, l’exploitant et les riverains des sites.